Mémoires de Racing : RC Lens - Saint-Etienne (4-3) de 1979-1980

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Si notre passion du RC Lens nous ramène à l'actualité du moment, le club Sang et Or cultive un histoire riche, un passé composé de moments glorieux et d'autres moments douloureux. Au travers de cette rubrique « Mémoires de Racing », MadeInLens.com va explorer cet héritage et vous proposer régulièrement des contenus sur des matchs de légende, des articles, des interviews... sur ces nombreuses pages de l'histoire de ce club lensois que nous supportons.

Pour ce premier numéro, nous vous proposons une plongée vers le 6 octobre 1979 et un match fantastique entre le RC Lens et Saint-Etienne (4-3) au stade Bollaert-Delelis au travers des témoignages d'Olivier Bodelle et de Nicolas Zatti.

Les souvenirs d'Olivier Bodelle : « Aujourd’hui, Curkovic est allé aux pâquerettes »

Entre nous, quel match s’inscrit comme votre meilleur souvenir ? Certains parleront d’Auxerre-Lens avec le but de Yoann Lachor pour le titre de champion de France, d’autres évoqueront Metz - RC Lens en finale de la coupe de la ligue avec cette  reprise improbable de Daniel Moreira. Voire ce délice à Wembley contre Arsenal en ligue des champions. Les plus anciens souligneront le 6-0 de 1977 contre la Lazio, et j’en oublie forcément, car le meilleur souvenir est propre à la sensibilité de chacun.

Une impression forte parmi tant d’autres s’est déroulée le 6 octobre 1979. Le Racing avait retrouvé la première division depuis quelques mois et les Verts débarquaient à Bollaert pour balayer nos protégés dans la spirale infernale d’une domination sans partage. En tribunes, il n’y avait pas de place numérotée quand vous étiez debout en populaires, la tribune à ciel ouvert, remplacée beaucoup plus tard par la confortable Delacourt. Il fallait donc, c’était le lot des petites bourses qui ne vivaient pas à crédit,  payer les places les moins chères pour assister à une rencontre qui, pour tout dire, était le rendez-vous de l’année. Il faut vraiment situer le contexte pour que chacun comprenne la stature de l’AS Saint-Etienne. C’était un peu comme si le Paris Saint-Germain d’aujourd’hui, celui de Neymar et de Cavani, toisait un petit promu de ligue 1 sur ses terres. Ça vous parle ? Les Verts attiraient les foules depuis la finale de Glasgow 1976 et, dans l’effectif du jour, les héros comme Janvion, Santini, Curkovic, Lopez, Farizon et Rocheteau représentaient toujours dignement cette légendaire équipe qui faisait vibrer toutes les familles de l’Hexagone. En cette période, la France à l’échelle européenne, c’était les Verts, un point c’est tout, l’épopée bastiaise de 1978 n’était qu’une parenthèse enchantée.

Saint-Etienne, c’était aussi le club  qui accueillait depuis peu Michel Platini, le futur ponte de l’UEFA. Un monument qui ne buvait pas encore de champagne millésimé, d’autant qu’il était fraîchement débarqué de Nancy où il ne s’abreuvait que de Fruité, car « Fruité c’est plus musclé » . Platoche,  qui  rejoindra la Juve trois ans plus tard, c’était déjà la classe et sans doute le plus grand footballeur français de tous les temps, mais j’entends déjà les fervents de Kopa et de Zidane qui s’agitent. A ses côtés, il y avait aussi Johnny Rep, le Hollandais aux débordements chaloupés, finaliste malheureux des Coupes du Monde 1974 et 1978, un beau mec qui remplissait à lui seul presque un quart des stades en métropole et même sur l’île de Beauté. Pour tout dire, petite digression, j’étais en populaires quatre heures avant le match, avec mon père mais aussi - et ce sera la seule fois - avec ma sœur. C’est que Johnny Rep, non seulement gâté par le talent footballistique, se pavanait sans avoir l’air d’y toucher avec une gueule d’amour, et chaque fois qu’il touchait le ballon, les filles criaient comme elles le font pour une rock star qui enflamme Bercy.

RC Lens Saint Etienne 1979 MadeInLens 01

Peut-être dîtes-vous que je vous entraîne dans un tas de billevesées qui n’amusent que moi alors qu’initialement, il s’agissait du meilleur souvenir de supporter lensois. Dans ce cas, allons y et entamons la rencontre après quatre longues heures d’attente dans le froid. Les Verts trois jours plus tôt, se sont inclinés 2-1 contre le Widzew Lodz de Boniek mais aussi du  futur Lensois Miroslaw Tlokinski. Le cœur du supporter espère que Saint-Etienne a laissé quelques plumes en Pologne et n’aura peut-être pas le jus pour assumer les attaques répétées du promu Sang et Or, on peut toujours rêver. Devant 35 000 spectateurs, le match commence et sans surprise, les cadors impriment une supériorité technique indéniable, il y a tout de même un international yougoslave dans les buts, un bourreau des cœurs hollandais en attaque, le meilleur joueur français de tous les temps en meneur de jeu, même si les fervents de Kopa et de Zidane me fusillent du regard. En fait il y a du beau monde, une pléiade de stars comme Zimako et Larios, et aussi un ancien Lensois Jean-Marie Elie. Pour économiser son énergie, le tanker stéphanois souhaite couler le radeau artésien le plus vite possible.

Contre toute attente, c’est M’Pelé qui ouvre la marque à la 10e minute, offrant à cet instant précis la surprise de la journée sur le tableau d’affichage. Mais Saint-Etienne est une très grande équipe qui ne s’affole pas, son maestro, le futur président Platini, remet les pendules à l’heure à la 25e minute. Puis, à la 44e minute, le beau gars des Pays-Bas ajoute un deuxième pion pour les Verts, évidemment sous les cris hystériques des demoiselles en pâmoison. Les Lensois accusent le coup forcément et ne s’en remettront sans doute jamais : c’est quand même la grosse écurie du championnat qui prend le dessus à la mi-temps. D’autant qu’une certaine impuissance nordiste n’empêche pas l’ange vert Dominique Rocheteau d’enfoncer le clou à la 70e minute. 3-1 pour l’armada stéphanoise, autant préciser qu’à ce niveau de qualité, la gestion des vingt dernières minutes est une formalité. Il y a bien Guy Lacombe qui, à un quart de la fin, rend la pilule moins amère en réduisant la marque.

Les joueurs pensent peut-être qu’une défaite 2-3 contre l’ASSE, c’est somme toute honorable. Mais le public ne l’entend pas de cette oreille : il se révolte comme il a toujours su le faire. Le 12e homme assène alors un coup de pression pour les quinze dernières minutes. Un match nul inespéré, ça permettrait aux fans de regagner leurs pénates avec satisfaction. Les joueurs l’ont compris et jettent dans la bataille leurs dernières forces. Les velléités sont superbement récompensées à dix minutes de la fin par un but d’Yves Ehrlacher, l’Alsacien qui n’abdique jamais. Franchement, après une démonstration de l’ogre sponsorisé par le magazine Super Télé, c’est un miracle d’avoir remonté deux buts et de décrocher un magnifique 3-3. Les Lensois vont donc se serrer les coudes pour préserver cette performance car un géant blessé finit toujours par riposter et rien n’est pire qu’une bête meurtrie. Mais contre toute attente, c’est Ehrlacher encore lui, qui inscrira un quatrième but pour parfaire le plus beau match auquel pas mal de spectateurs se réfèrent encore.

Sur le chemin du retour, chacun a le sourire et mon père me balance cette phrase qui fait office de titre : « Aujourd’hui, Curkovic est allé aux pâquerettes ». En effet, le géant aux pieds d’argile avait cueilli quatre fois le ballon dans ses filets.

Et les souvenirs de Nicolas Zatti de l'équipe de MadeInLens, qui assistait à un de ses premiers matchs du Racing.

Et le stade Bollaert s'embrasa...

À Bollaert, les RC Lens - Saint Etienne ont souvent été des matchs spectaculaires. Dans un passé relativement proche, on se souvient du 3-3 saison 2006-2007 (les Lensois étaient menés 0-3 à 25 minutes du terme) avec notamment le doublé de Seydou Keita ou toujours en 2007, de la victoire Sang et Or 3-2 saison 2007-2008 (l'ASSE menant 0-2 à la mi-temps) et le but acrobatique d'Aruna Dindane. Grâce à Internet, on peut revoir à volonté les vidéos de ces rencontres..

Mais le 6 octobre 1979 très exactement, on assista à un Lens-Saint Etienne de folie dans un stade plein à craquer. À cette époque, point de vidéo et encore moins d'Internet. Les matchs n'étaient pas retransmis en direct, sauf quelques grandes rencontres de Coupe d'Europe avec des clubs français et il fallait attendre Pierre Cangioni et son Télé-Foot du samedi soir à 23h pour voir quelques buts. Parmi les 35 614 spectateurs de l'époque, un gamin de 7 ans (moi) qui a essayé de rassembler ses quelques souvenirs pour vous faire revivre une rencontre pas comme les autres. Vous allez comprendre pourquoi.

Quand les Verts débarquent à Bollaert en octobre 1979, je suis présent en tribune avec mes parents. C'est le deuxième match auquel j'assiste : j'avais eu la chance de faire mon baptême du feu avec le fameux Lens-Paris FC de la montée, soir de gloire de notre gardien Francis Hédoire, héros de la séance des pénaltys.

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Ce bon Francis ne devait pas être très rassuré quand les Verts se présentèrent sur la pelouse de Bollaert. Déjà leader après 10 journées, l'ASSE se déplace au complet, avec ses « stars »  et non des moindres : Michel Platini et Johnny Rep. Michel Platini est alors le meilleur joueur français des deux dernières années et a terminé 3e du Ballon d’Or en 1977. Johnny Rep, Hollandais volant à la gueule d’ange, vient de jouer la finale de la coupe du monde 1978 en Argentine. A ces deux recrues vedettes viennent s'ajouter les historiques : Curkovic alias Curko dans les buts, Christian Lopez, Gérard Janvion, Gérard Farison, Jacques Santini, Jean-François Larios, Jean-Marie Elie, Jacques Zimako et l'ange vert, Dominique Rocheteau.

Autant dire que je ne sais plus où donner de la tête. Natif de Lens, j'aime le Racing mais à l'époque, mon équipe préférée, c'est les Verts. J'ai d'ailleurs usé jusqu'à la corde le disque de Jacques Monty "Allez les Verts".

Le Saint-Etienne de cette époque, c'est l'équivalent du PSG d'aujourd'hui, c'est à dire une équipe de stars faite pour gagner à minima des titres nationaux et ambitionnant de gagner à terme une Coupe d'Europe. À la tête des Verts, on retrouve l'emblématique Robert Herbin, dit le Sphinx.

Face à eux, le Racing, récent promu, est déjà en difficulté. Après 10 journées, le bilan comptable est alarmant : 1 victoire face à Sochaux, 5 nuls et 4 défaites dont deux à domicile face à Nantes et Monaco. Pour ce match de gala, les Lensois d'Arnold Sowinski se présentent avec leurs 4 recrues principales à savoir Daniel Alberto (un libéro argentin au toucher de balle gracieux), Henryk Maculewicz (latéral gauche polonais qui avait la technique d'un meneur de jeu), Guy Lacombe (déjà remarqué par sa moustache), sans oublier Yves Ehrlacher, champion de France avec Strasbourg la saison précédente.

Pour le reste, c'est du classique : Francis Hédoire, Hervé Flak, Michel Joly, Robert Sab, François M'Pelé, Moncef Djebaili, Pascal Françoise et bien entendu le Druide, Daniel Leclercq.

À première vue, les Verts ne feront qu'une bouchée des Sang et Or. Depuis le début du championnat, ils sont invaincus et les Platini, Rep et Zimako empilent les buts à chaque journée.

Dans les tribunes, c'est l'effervescence et beaucoup de bruit. Ma maman utilise sans arrêt sa crécelle - instrument de musique - qui me casse les oreilles. Et aussi celle de nos voisins. Mais ce n'est rien comparé à la ferveur des supporters lorsque le Racing ouvre le score à la 10e minute sur une tête de M'Pelé (1-0). Je pleure car mon équipe favorite est menée… Mais rapidement, je retrouve le sourire car Platini puis Rep remettent les pendules à l'heure. Encore mieux, en deuxième mi-temps, bien lancé en profondeur, Rocheteau, dans son style caractéristique, vient alourdir le score (1-3, 70e). La messe est dite. Le crécelle est rangée. Je suis heureux. Les Verts vont gagner.

Alors que tout semble joué, la rencontre va devenir complètement folle. La magie d'un retournement de situation que seul le football peut apporter. Je me souviens que chaque attaque lensoise faisait mouche. C'est d'abord Guy Lacombe qui allait ramener l'espoir à la 79e (2-3) puis dans la folie générale, Yves Ehrlacher égalisa (3-3, 80e). J'ai cru que le stade allait s'écrouler. Il allait exploser à la 85e quand le même Ehrlacher médusa le pauvre Curko (4-3 85e). La crécelle était ressortie. Je ne voyais plus rien car tout le monde était debout. Au coup de sifflet final, j'ai fini par apercevoir furtivement Lopez et Janvion les mains sur les hanches, se demandant ce qui leur arrivait. Eux qui avaient connu tant de remontées historiques - Kiev entre autres - endossaient cette fois le costume du perdant. Le coeur, la volonté et l'envie lensoise avaient fini par renverser la montagne verte. David avait terrassé Goliath.

Ce match m’a marqué à jamais. Il a certainement contribué à ma passion du foot et du Racing en particulier. A partir de ce jour, peut être par opportunisme du moment, j’ai laissé les Verts de côté et mon cœur est devenu Sang et Or.


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