La Parole à : André Charlet
Cette saison sur MadeInLens.com, nous vous proposons régulièrement notre rubrique "La Parole à :" qui vous permet de retrouver des interviews que nous réaliserons régulièrement dans les semaines et mois à venir. Après les dernières interviews d'Eric Carrière et de Carine Galli, c'est André Charlet, responsable de la cellule d’observation Nord - Pas-de-Calais du Racing Club de Lens qui nous a accueillis à la Gaillette pour nous parler de son travail et des jeunes qui commencent à se faire une place en équipe première.
- Monsieur Charlet, vous avez mis en place la cellule d’observation Nord - Pas-de-Calais il y a une petite dizaine d’années. Quel a été votre parcours auparavant ?
A la base, je suis enseignant. J’étais professeur à la faculté des sports de Liévin, responsable d’un diplôme d’éducateur de football. Au départ, je travaillais encore en tant qu’enseignant en parallèle de mon activité au sein de la cellule d’observation. En septembre 2012, j’ai pris ma retraite de l’enseignement et c’est devenu mon occupation principale.
A côté de cela, j’ai été joueur puis entraîneur, au Sporting d’Hazebrouck et à la JA Armentières notamment.
- Comment travaille la cellule d’observation Nord - Pas-de-Calais ?
Le rayon d’action de la cellule d’observation s’étend sur toute la région Nord - Pas-de-Calais. Cela représente environ 1 100 clubs, soit au moins 70 – 80 000 jeunes licenciés. Il est évident que je ne pouvais m’acquitter de cette tâche tout seul : j’ai organisé une cellule d’observation avec des « observateurs » qui vont voir 60 à 80 matchs tous les week-ends sur toute la région. Il y a un certain nombre de critères d’observation qui leur sont donnés.
- Quelles catégories observez-vous ?
Toutes les catégories des plus petits aux plus grands, sachant que, chez les plus grands, on n’observe que s’il y a un besoin spécifique. Etant donnée notre organisation, celle de la Ligue, du District et de la Fédération Française, un gamin qu’on ne connaît pas encore à 14 ans, c’est que soit il n’a pas le niveau, soit on n’a pas bien fait notre travail. Si on fait bien notre travail, on doit connaître tous les bons joueurs de foot à 14 ans. Un bon joueur ne peut pas passer entre les mailles du filet.
- Avant 13 ans, il y a aussi une règlementation particulière …
En effet, jusqu’à 13 ans, on ne peut jouer que dans son département ou à moins de 50 km de son domicile. Si on repère un bon joueur à Dunkerque, Dunkerque étant dans le Nord et à plus de 50 km de Lens, on ne peut pas le faire venir avant l’âge de 13 ans. Et je suis quelqu’un d’honnête, je m’interdis de tricher. On pourrait mettre l’adresse de la grand-mère ou de la tante mais je préfère dire aux parents : « C’est un bon joueur mais on ne peut pas le faire venir avant 13 ans. » Et puis s’il va signer ailleurs, tant pis pour nous.
- Revenons aux critères d’observation dont vous parliez tout à l’heure. Qu'est-ce qui va faire la différence parmi les milliers de jeunes que vous voyez ?
Le plus difficile, c’est qu’il ne s’agit pas de regarder comme ils sont, mais comment ils peuvent devenir. Cela, c’est un travail d’équipe entre les observateurs et les éducateurs. L’équipe d’éducateurs est toujours impliquée dans l’observation et la décision finale.
Après avoir été observés à plusieurs reprises, les jeunes sont invités à la Gaillette. Il s’agit de recueillir un maximum d’avis afin de définir le potentiel et la marge de progression. Avant la puberté, c’est très difficile et il faut être très prudent. Et malgré cela, on va aussi se tromper car personne ne peut prédire l’avenir.
Les enfants n’ont pas leur personnalité : elle va évoluer au fil des années et notamment en fonction des circonstances de la vie (les parents, des copains, des copines, des rencontres, des professeurs, des éducateurs, des coéquipiers …) et aussi des événements de la vie (un divorce, un décès, un accident…).
- Mais sur un match, qu’est-ce qui va faire qu’un joueur va retenir votre attention ?
Il faut déjà avoir des qualités de base : il faut naître footballeur. Il faut des qualités athlétiques supérieures à la moyenne : il n’y a pas de footballeurs professionnels sans qualités athlétiques de haut niveau. Il n’y a pas de joueur super bon techniquement qui réussisse sans aucun argument physique. Mais ce qui fait pencher la balance, c’est la personnalité.
Pour moi, il y a trois footballs : le football des enfants, le football des jeunes qui commence vers 13 ans avec le foot à 11 et ensuite le football des hommes vers 18 ans. C’est là que va intervenir cette fameuse personnalité, ce caractère qui va faire qu’on sort ou qu’on ne sort pas. Chez les tout petits, cela ne rentre pas en ligne de compte. Il y a plein de gens qui sont très performants au football des enfants, un peu moins au football des jeunes et disparaissent au football des adultes. L’inverse est vrai aussi.
- Pas facile donc de juger la personnalité d’un gamin sur un match ?
Non mais c’est un métier d’expérience : la moyenne d’âge des observateurs est très largement au-dessus de 35 ans. Avec l’expérience, on voit tout de suite quand un joueur sort du lot. Parfois, il arrive aussi qu’un joueur, par son allure, vous en rappelle un autre. Ça ne veut pas dire qu’il va évoluer de la même façon mais cela vous accroche. Benjamin Bourigeaud, la première fois que je l’ai vu, au premier ballon qu’il a touché, je me suis dit : « Il a quelque chose ». Jean-Philippe Gbamin était remplaçant la première fois que je l’ai vu. Il était U12 et jouait en U15. Quand l’entraîneur l’a envoyé s’échauffer sans ballon derrière le but, ça m’a accroché tout de suite.
- Justement, la cellule d’observation a presque 10 ans et les premiers jeunes que vous avez amenés à Lens vers 10-11 ans arrivent en équipe première …
Oui, celui qui a marqué à Lyon en Coupe de France ! Mais ce n’est pas André Charlet tout seul qui l’a fait venir. J’y tiens énormément, c’est un travail d’équipe : la cellule d‘observation, les éducateurs, les entraîneurs, les encadrants scolaires, … On travaille tous ensemble sur l’avenir c’est ce qui est passionnant.
Mais c’est vrai que beaucoup de ceux qui jouent maintenant en équipe première sont arrivés pendant les années Collège : Benjamin Bourigeaud est arrivé en 6e, Jean-Philippe Gbamin et Wylan Cyprien en 5e, Baptiste Guillaume en 4e ou 3e, Patrick Fradj, Ange-Freddy Plumain, Samuel Atrous à cet âge là aussi. Thorgan Hazard et Raphael Varane aussi …
Ils ont évolué, les entraineurs les ont fait travailler mais ils sont loin d’avoir fini : Jean-Philippe a eu 18 ans au mois de septembre, il a une marge de progression énorme. Avec des gens comme Antoine Kombouaré ou ses coéquipiers, il va certainement acquérir tout un tas de choses.
- Des réussites comme celle de Raphael Varane, vous vivez cela comme une récompense de votre travail ?
Quand un joueur perce au plus haut niveau, cela fait toujours plaisir à tout le monde parce qu’on se dit qu’on a fait un travail qui a servi à quelque chose. Mais Raphaël, la première raison de sa réussite, c’est lui ! Ce sont ses qualités et son travail. En deux, c’est sa famille. Et après, c’est ceux qui l’ont accompagné ici.
Zinédine Zidane disait : « Au départ, il faut avoir des qualités de base exceptionnelles. Ensuite, il faut un environnement familial digne de ce nom et 3e paramètre, il faut rencontrer les bonnes personnes. »
- Inversement, quand un joueur quitte le club avant même d’avoir terminé sa formation, comment le vivez-vous ?
Les éducateurs sont toujours peinés du départ d’un jeune. Sans dévoiler les raisons sur des cas particuliers, il y a toujours une explication saine et puis il y a aussi des réalités économiques qu’on ne peut pas maîtriser.
Des cas comme celui d’Eric Sikora, cela n’existe plus … mais parmi ceux qui sont partis d’eux-mêmes ou qui n’ont pas été retenus, il n’y en a pas beaucoup qui ont réussi ailleurs.
- Vous ne vous dites pas que vous vous êtes trompés en le faisant venir ?
Oui, on peut s’être trompés. Je suis très modeste là-dessus, je dis souvent : « Je vais me tromper mais je vais faire en sorte de me tromper le moins possible. » Ceux qui disent : « Je ne me trompe jamais », ce sont des imbéciles ou des menteurs : il y a trop de paramètres pour qu’on puisse avoir une certitude.
Et puis, le parcours des jeunes au centre de formation n’est jamais linéaire. Il dépend beaucoup du sérieux et du travail. J’ai rencontré des tonnes de joueurs doués qui n’ont jamais rien fait parce qu’ils n’avaient pas l’envie de progresser. Il y a des joueurs qui ont une marge de progression énorme et qui ne progressent jamais parce qu’ils ne travaillent pas. Pour en revenir à Raphael Varane, en près de 10 années de présence ici, je n’ai jamais entendu une réflexion désagréable à son sujet. Il avait tracé sa ligne : c’est ça aussi la réussite, c’est le travail !
- Mais soyons pragmatiques : pour un joueur qui va réussir, combien ne perceront jamais ?
C’est une question à laquelle je répondrai sur le plan mathématique : il y a en France, 42-43 clubs pro avec 25 joueurs par club en moyenne, cela fait 1000 joueurs professionnels en arrondissant. Or il y a 2 millions de licenciés, on a 1 chance sur 2000 d’y arriver ! C’est un peu exagéré mais le rapport est forcément très faible.
Mais c’est comme partout : à la faculté des Sports, ceux qui entrent en première année ont pour objectif d’être prof d’éducation physique. Au final, il n’y en a qu’entre 15 et 20 sur les 300 qui deviennent effectivement prof d’EPS. Les autres deviennent éducateur sportif, travaillent dans le monde du commerce sportif, dans la gestion du sport, dans l’accompagnement de coach sportif… Il n’y a donc pas d’échec.
Pour nos footballeurs, c’est pareil : quand ils intègrent un centre de formation, ils ont tous pour objectif de devenir footballeur professionnel. Ils ne pourront pas tous le devenir mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont en échec : la plupart des joueurs passés par des centres de formation joue en CFA et c’est bien souvent leur formation de footballeur qui leur permet de s’insérer dans la vie active en trouvant un travail chez le président, chez un sponsor, à la mairie…
- Les études, est-ce la principale crainte des parents au moment de faire le choix d’intégrer le centre de formation ?
Oui, beaucoup de parents sont méfiants mais je les rassure. J’ai été professeur à l’Université. Donc l’école et les études, je connais et j’y fais très attention. Les garçons peuvent suivre la scolarité normale jusqu’au Bac. Le gamin qui n’est pas très bon à l’école, on ne va pas réussir à lui faire avoir un Bac S mais il fera une section professionnelle comme il aurait fait s’il n’avait pas été footballeur.
Après le Bac, il y a un choix à faire mais, a priori, quand on fait une formation de footballeur, ce n’est pas pour devenir chirurgien !
Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de sécurité au niveau des études notamment parce qu’il y a des sports-étude, des horaires aménagés foot, des centres de formation, des sections sportives, des pôles Espoir …
Raphael Varane, qui était bon à l’école, a eu son Bac ES sans problème tout en faisant ici une carrière de haut niveau. La dernière année, il était en Terminale et jouait avec les pros.
- Pour terminer, vous qui avez une vision de toutes les équipes de jeunes, pensez-vous que la formation lensoise, avec les U12 champion du monde notamment, a encore de belles années devant elle ?
Normalement oui mais il y a toujours un point d’interrogation. Il y a de très bons joueurs « U 12/13 » mais aucun sur lequel je mettrais une pièce pour qu’il devienne pro ou international. Ou alors je la mettrais sur tous. On ne peut pas se prononcer aujourd’hui : il y a beaucoup trop de paramètres qui vont intervenir dans leur vie.
Je suis très content pour les U12 et pour leurs parents de ce qui s’est passé mais ni moi ni l’ensemble du staff n’en faisons une gloriole.
- Et au niveau du partenariat avec Bakou, il y a des choses qui se mettent en place au niveau des jeunes ?
Il y a des jeunes qui viennent régulièrement … Vous savez, je ne suis responsable que du Nord - Pas-De-Calais … Oui, il y a des choses qui se mettent en place mais on en est qu’au début. Le président et le directeur sportif y travaillent.
Propos recueillis par Samuel
L'équipe de MadeInLenstient à remercier
Patrick Valcke, responsable des relations médias du RC Lens,
qui nous a autorisés à réaliser cette interview
et André Charlet pour sa sympathie et sa disponibilité pour répondre à nos questions.
Commenter cette actualité (...)